Au Temps des Thoniers à Voile
"Biche est de retour. C'est toute notre vie qui revient" s'écrie Mélanie, 73 ans, les larmes aux yeux, coiffe blanche au vent, en voyant entrer le superbe voilier dans le petit port de Groix en face de Lorient, en Bretagne. Biche, c'est le dernier survivant des thoniers à voile : il ne pêche plus, il est devenu bateau-école en Angleterre. Aujourd'hui, il vient rendre visite à son ancien patron, Ange Stéphan, 83 ans.
Avant de pêcher le thon, les hommes de Groix faisaient la sardine tout près de leurs côtes. Mais la sardine se déplace de manière irrégulière. Elle disparait parfois 5 ou 10 ans. Pour toute la côte atlantique, c'étaient des années de misère. Alors les marins de Groix, comme d'autres hommes de Bretagne et du Pays basque, se sont lancés dans la pêche au thon.
Ainsi, durant vingt-deux étés, Ange et Biche ont chassé ensemble le thon blanc. Comme le thon est un poisson migrateur, ils allaient le chercher depuis l'Espagne jusqu'a l'Irlande: bien sous-vent, à 1 000 km de toute côte. Sur deux longues perches, étaient fixées dix-huit lignes munies d'hameçons. Quand la pêche donnait bien, les poissons couvraient le pont : les six marins ne cessaient de hisser les longues lignes de traine. En tirant sur les fils de chanvre, leurs mains se crevassaient parfois jusqu'à l'os.
Tous les hommes valides étaient en mer, les femmes restaient seules à la maison à élever les enfants, ou cultiver les terres, soigner les bêtes. Les jours de tempête, elles s'inquiétaient pour les hommes partis au large.
Depuis 1956, où il a vendu Biche, Ange n'a plus revu son bateau. Aujour'hui, pour promener les anciens pêcheurs, c'est de nouveau lui le patron.